Depuis quelques jours les médias locaux et nationaux se font l’écho de propos du Président du patronat français et du Président de l’Unedic qui évoquent leur ras-le-bol du lourd déficit que sont censés générer à l’Unedic les frontaliers au chômage.
Pire encore, le Président de l’Unedic accuse les ex-frontaliers au chômage de considérer leurs indemnités comme des rentes en expliquant qu’ils préfèrent s’installer dans une situation de chômage en France en attendant de retrouver un travail mieux payé en Suisse ou au Luxembourg.
En qualité de porte-parole des adhérents du CDTF, j’ai estimé qu’il était nécessaire de replacer beaucoup de choses dans le contexte qui correspond à la réalité historique de la situation. J’ai donc adressé un droit de réponse au journal L’Alsace qui a relayé les propos de Jean-Eudes Tesson, Président de l’Unedic qui semble ne pas connaître l’ensemble des tenants et aboutissants de la situation ce qui fausse son analyse et ses propos.
Il est évident que de très nombreux frontaliers ignorent eux aussi l’historique de ce dossier et le travail de longue haleine du CDTF qui n’avait de cesse de dénoncer la discrimination que subissaient les ex-frontaliers au chômage en France de 1978 à 2002.
Ainsi, même si vous estimez ne pas être concerné(e), je vous invite à lire attentivement notre réponse, notre objectif étant d’exprimer nous aussi notre ras-le-bol face à ceux qui nous prennent pour des boucs émissaires sans motif cohérent et objectif.
Jean-Luc Johaneck, Président du CDTF
Droit de réponse du CDTF
J’ai lu avec attention votre article en page 4 de votre journal L’Alsace du 3 octobre ayant pour titre : La lourde facture des frontaliers au chômage ce qui m’oblige à réagir comme de nombreux frontaliers qui ont contacté le CDTF à ce sujet.
En ma qualité de Président du CDTF du Haut Rhin et aussi d’abonné fidèle et lecteur assidu du Journal L’Alsace depuis 50 ans à titre personnel et du CDTF, je me permets de vous soumettre mon avis sur la base d’éléments étayés et probants.
Pour ma part, je ne conteste absolument pas les propos de Jean-Eudes Tesson Président de l’Unedic qui exprime son ras-le-bol et crie au scandale.
Par ailleurs, dans d’autres médias le Président du Medef s’est lui aussi épanché sur le sujet en expliquant que les frontaliers coûtent 800 millions d’euros par an aux caisses de chômage françaises, sans contrepartie.
Ils ont leur avis et leur vision des choses et ils ont le droit de l’exprimer.
Ils sont certes des spécialistes de caisses de chômage en France mais force est de constater qu’ils semblent totalement méconnaitre l’historique de ce dossier qui a toujours été très épineux et dont les frontaliers ont systématiquement été pris pour boucs émissaires, puisque bien entendu ils n’ont pas leur mot à dire que ce soit au niveau des représentants des salariés et encore moins des employeurs français.
De plus, ils ne paraissent pas très au fait de la réglementation de libre circulation au sein de l’UE qui fixe les règles en matière d’indemnisation de chômage des salariés acteurs de la mobilité transfrontalière.
Je me permets donc par la présente d’apporter un peu plus de lumière ou à minima de transparence à ce sujet fort de mon expérience de 40 années d’activité au sein du CDTF du Haut-Rhin.
Et c’est d’ailleurs au sujet de l’indemnisation du chômage des frontaliers qu’en 1984 j’ai décidé de m’engager activement dans cette association de défense des frontaliers alors que je n’étais pas du tout directement concerné par le chômage.
Je maitrise parfaitement l’historique du chômage, la Suisse ayant créé sa caisse de chômage obligatoire en 1978 date à laquelle l’ensemble des salariés (frontaliers inclus) et leurs employeurs ont commencer à cotiser.
Ce que l’article ne stipule pas c’est que c’est une réglementation européenne toujours en vigueur qui fixe les règles en matière d’indemnisation du chômage des salariés qui résident dans un État de l’UE et qui ont exercé leur activité professionnelle dans un autre État de l’UE.
A l’époque où cette règle avait été instaurée, personne ne savait que la France deviendrait très vite championne d’Europe de l’exportation des emplois d’une partie importante des salariés des régions frontalières.
Cela ne signifie pas pour autant que la majorité des frontaliers de France qui ont joué la mobilité transfrontalière étaient des demandeurs d’emplois en France. Par contre, ils ont libéré des postes de travail qui ont permis l’embauche ou le maintien à l’emploi de milliers de salariés qui résident en France.
Le pouvoir d’achat de ces salariés étant plus élevé grâce au taux de change (mais aussi d’horaires de travail de 20 % supérieurs à la France), ils ont consommé beaucoup plus en France en investissant très souvent dans l’immobilier. Et comme c’est souvent le cas, en s’endettant et les banques locales les y ont vivement encouragés.
Cette dynamique économique a non seulement engendré de nombreux emplois en France, mais elle a aussi provoqué un essor dans l’ensemble des régions rurales le long des frontières, dont les frontaliers n’ont pas à rougir.
Sachant que sur ce point, l’ensemble des milieux politiques des régions frontalières n’ont jamais caché leur satisfaction surtout lors des élections.
Que ce soit en Allemagne, en Suisse ou au Luxembourg, les frontaliers Alsaciens et Mosellans sont particulièrement réputés comme étant de très bons salariés qui ont des compétences et qui ont de très bonnes capacités d’adaptation.
Ce qui a aussi très souvent incité des employeurs de ces trois États à investir en France pour y installer des entreprises et créer des milliers d’emplois qui ont rapporté des cotisations sociales.
Au début des années 1980, le CDTF du Haut Rhin a dû rappeler à la France la règle fixée par les accords UE de libre circulation en matière d’indemnisation du chômage des frontaliers licenciés.
Puisque celui qui réside en France qui est demandeur d’emploi n’a plus du tout le statut de frontalier, il est un résident en France à la recherche d’un emploi au même titre que les autres demandeurs d’emploi en France.
D’ailleurs l’Unedic ne comptabilise pas séparément les ex-frontaliers au chômage.
A se demander d’où proviennent les chiffres évoqués ?
A ce sujet, certains chiffres me semblent très contradictoires, ils évoquent 1 milliard d’euros mais indiquent que ce serait 10 000 euros par chômeur frontalier ?
Certainement pas par mois et pour une année 10 000 euros d’indemnités ne me semblent pas énormes mais au contraire très peu ! J’ai du mal à comprendre ces chiffres et leur interprétation ?
Dans les années 1980, les ex-frontaliers des États de l’UE au chômage en France percevaient des indemnités de chômage en France sur la base de la réglementation française comme s’ils avaient exercé leur dernier emploi en France.
C’est à ce jour toujours la réglementation applicable. Ils sont indemnisés sur la base de la moyenne de leurs derniers salaires au même titre que les autres ayants droit qui ont exercé en France.
Mais aucun État de l’UE ne rétrocède en faveur de ses ex-frontaliers tout ou partie de leurs cotisations obligatoires de chômage.
Sauf depuis 2010 (2012 pour la Suisse) l’État ex-employeur verse à la France 5 mois d’indemnités de chômage.
Mais s’agissant de la Suisse qui ne fait pas partie de l’UE et qui jusqu’en 2002 n’avait pas cosigné d’accord de libre circulation des travailleurs au sein de l’UE, l’Unedic avait signé une convention qui lui a permis jusqu’en 2009 de percevoir 80 % des cotisations de chômage salariales et patronales suisses.
Donc pour rappel de 1978 à 2009, la France a encaissé 80 % des cotisations de chômage, alors que dans le même temps la Suisse a embauché une grande quantité de nouveaux frontaliers qui au vu du taux de chômage en France n’ont pas hésité à traverser la frontière.
Les autres 20 % de cotisations chômage des frontaliers et de leurs employeurs restaient en Suisse pour permettre de payer le chômage technique et les indemnités salariales en cas d’insolvabilité des entreprises suisses.
Donc la Suisse a été le seul État qui a rétrocédé durant 30 ans les cotisations de chômage des frontaliers de France alors que les autres États ne rétrocédaient rien.
Mais en échange de cette manne colossale versée à l’Unedic les ex-frontaliers de Suisse étaient les seuls et uniques en France à percevoir des indemnités de chômage calculées sur la base de 40 % de leurs salaires moyens en lieu et place des 57 % pour tous les autres chômeurs.
Entre 1981 et 2000, le CDTF n’avait eu de cesse de dénoncer cette discrimination auprès des multiples dirigeants politiques français qui lui ont toujours expliqué que l’État n’a pas le pouvoir de s’ingérer dans les règles fixées par l’Unedic qui est une commission paritaire composée de représentants patronaux français et de représentants des salariés français. Ce qui de facto exclut les frontaliers d’un quelconque dialogue.
En 2002, cette discrimination a été supprimée et les ex-frontaliers de Suisse sont indemnisés comme les autres demandeurs d’emploi employés dans d’autres État de l’UE qui résident en France.
Mais, et c’est très paradoxal, alors que personne ne l’y obligeait, la Suisse a continué à rester le seul État en Europe à rétrocéder à la France 80 % de l’ensemble des cotisations de chômage des frontaliers qui résidaient en France jusqu’en 2009.
Cette historique est conforme à la réalité mais apporte une toute autre approche face aux différentes réactions actuelles du représentant du patronat français et de l’Unedic. A leur décharge, il est fort possible qu’ils méconnaissent la réalité qui leur permettrait de tenir compte de ce qui a été versé durant des décennies par la Suisse et ce qui n’a pas été versé jusqu’en 2002 aux ex-frontaliers de Suisse au chômage.
Et bien entendu le fait que les ex-frontaliers de Suisse percevaient jusqu’en 2002 des indemnités minorées alors que les Suisses reversaient les cotisations est totalement oublié, mais cela a duré 24 ans !
Par ailleurs, les frontaliers en ont eux aussi « ras-le-bol » de servir systématiquement de boucs émissaires sans pouvoir s’exprimer et donc s’expliquer auprès de ceux qui dénigrent leurs pseudo-avantages en matière d’indemnités de chômage.
Le Président de l’Unedic a jugé utile de préciser que les frontaliers de Suisse ou du Luxembourg se complaisent au chômage en France puisque leurs salaires plus élevés qu’en France ne les incitent pas à chercher des emplois en France.
Il est vrai que cela paraît stupide de vouloir traverser la frontière pour chercher du travail alors qu’il suffit de traverser la rue, dans les clous, pour trouver un emploi !
En tout cas chez France Travail il est très rare que les chômeurs reçoivent une proposition d’emploi adaptée à leur profil professionnel, il suffit de les interroger.
Or, on oublie de préciser que le gouvernement français a lui aussi estimé que ceux qui avaient des salaires élevés et, faut-il le rappeler, versaient des cotisations sur la base de ces salaires élevés devaient se voir imposer à partir du 7e mois de chômage une minoration de leurs indemnités de chômage de 30 % (si leur revenu brut est supérieur à 4 916 euros) et qu’ils ont moins de 57 ans lors de l’inscription comme demandeur d’emploi.
Sachant que ceux qui perçoivent des salaires élevés doivent aussi verser des impôts et taxes plus élevés, ceci permet à l’État de contribuer à financer le déficit de ses caisses sociales dont l’Unedic et par exemple les indemnités journalières de maladie en France dont les montants ont explosé mais pas à cause des frontaliers.
Combien de grands patrons français se sont débarrassés à bon compte de leurs salariés âgés en leur proposant des indemnités de rupture conventionnelle en les invitant à aller au chômage jusqu’à leur retraite ?
La rupture conventionnelle du contrat de travail en Suisse n’ouvre pas un droit au chômage en France aux ex-frontaliers.
Pour ma part, il me paraît juste et cohérent eu égard à la collectivité concernée de présenter les choses dans un contexte qui reflète toute la réalité.
Par ailleurs, ce ne sont pas les frontaliers qui ont fixé les règles et les conventions.
La France a réussi durant 30 ans à obtenir plus de rétrocessions de cotisations des frontaliers qu’elle n’en a versées ou économisées puisque la Suisse tel un buvard a un peu aspiré le chômage régional français et heureusement !
Ainsi la France devait être capable de négocier avec la Suisse sachant qu’elle se montre très généreuse à l’égard des Suisses fiscalement par exemple au niveau de l’EuroAirport depuis des années.
Ma réponse est longue mais elle a l’avantage d’être juste et précise. Car il est beaucoup plus facile d’écrire beaucoup moins en exprimant que ce que l’on souhaite mettre en avant et en occultant ou en niant une grande partie de la réalité et de la vérité.
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