Conséquences de l’accord fiscal franco-suisse de télétravail.


Nous avons été contactés par des salariés de 2 grands groupes suisses au sujet d’informations diffusées par leur service des relations humaines qui leur signale qu’à effet immédiat s’ils se déplacent plus 10 jours en France ou dans un autre État tiers de l’UE cela aura d’importantes conséquences fiscales.


Les frontaliers qui résident en France seraient « semble-t-il » les seuls concernés puisque ce sont les interprétations issues de l’accord bilatéral franco-suisse concernant le télétravail des frontaliers.

Une analyse juridique qui émane de l’ordre des avocats de Genève circule afin d’étayer cette thèse qui pour le CDTF n’est qu’une hypothèse qui doit impérativement être soumise pour interprétation à l’avis des autorités compétentes suisses.

Nous constatons, en effet, que les affirmations et interprétations qui apparaissent le sont sous réserve quand nous lisons dans le texte : « Il semble, ne devrait pas être autorisé, dans l’attente de clarification… ».


Il apparaît que les frontaliers qui résident en France seraient très nombreux à être concernés par le sujet des déplacements de plus de 10 jours à l’étranger.

De plus, si un tel scénario était confirmé, il est évident que les candidats à l’emploi en Suisse nécessitant plus de 10 jours de déplacements en France ou dans les autres pays de l’UE (pas ceux hors UE) rencontreront à l’avenir de très sérieuses difficultés à l’embauche en Suisse s’ils résident en France.


Nous joignons quelques copies de courriers et documents en notre possession afin que ceux que cela intéressera puissent en prendre connaissance.

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Voici le point de vue du CDTF

Nous estimons qu’il faut traiter ce sujet avec une grande prudence, mais aussi un grand sérieux ! En 2022, notamment au sein de certains grands groupes employant des frontaliers en télétravail, à plusieurs reprises les RH avaient édité des circulaires qui stipulaient qu’à partir d’une certaine date les frontaliers qui résident en France seraient interdit de télétravail. Or, ce n’était que des pétards mouillés qui certes ont dégagé des fumées et affolé du monde.

Du côté du CDTF, nous répondions systématiquement qu’il fallait attendre les annonces officielles des autorités suisses qui durant toute la période Covid communiquaient avant la date d’échéance des dérogations.

Et nous avions raison. Coup de chance ou bon sens ?


Dans le cas présent, nous pensons qu’il serait judicieux que l’interprétation des textes soit être de toute urgence soumise à l’approbation ou à l’avis des autorités fédérales suisses qui sont les intervenants directs de cet accord bilatéral à l’amiable dont la validité n’est qu’officieuse puisque l’avenant n’est pas encore signé.


Il serait téméraire et très lourd de conséquences de persister à diffuser des informations et à appliquer des interdictions très inquiétantes et même affolantes. On nous a rapporté que lors d’une réunion d’information la responsable des RH présente à proclamer qu’il y aura une double-imposition pour les contrevenants qui dépassent la limite des jours annuels. Quand elle a été interrogée par les intéressés qui ont demandé ce qu’ils doivent faire si les 10 jours sont dépassés, elle leur a été répondu : « Vous n’aurez qu’à vous faire remplacer pour vos déplacements ! ».


A notre humble avis si tout le monde est théoriquement remplaçable pour autant très peu de personnes sont interchangeables ! Les clés USB « humaines » n’existent pas encore !


Nous nous permettons nous aussi d’émettre notre avis sur la question, mais sans pour autant décréter que nous avons raison.


S’agissant des frontaliers qui résident en France, il faut noter qu’il existe 2 formes de fiscalité. Celle des cantons qui soumettent les frontaliers à l’impôt à la source en Suisse et celle des cantons qui ont signé des conventions fiscales bilatérales avec la France. Le canton de Genève à la particularité d’imposer à la source en Suisse, mais de rétrocéder une partie en France. Dans le second cas pour les cantons de Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Soleure, Jura, etc. les frontaliers versent l’impôt en France et la France rétrocède une quote-part à la Suisse.


L’accord amiable du 22 décembre 2022 n’est qu’un avenant à la Convention fiscale bilatérale franco-suisse du 9 septembre 1966.

Extrait de cet accord de 1966 qui évoque la situation, ainsi que les frontaliers : extrait-accord-1966


Si les autorités fédérales suisses devaient valider la thèse des 10 jours maximum par an, nous nous permettons de supposer, sous réserve de l’interprétation actuelle de la direction de l’administration fédérale des contributions que les impôts des revenus provenant des déplacements en France et dans d’autres États tiers au-delà des 10 jours seraient soumis à la compétence fiscale française.


Pour les frontaliers qui ne sont pas soumis à l’impôt à la source en Suisse mais payent l’impôt sur les revenus suisses en France cela ne devrait avoir aucune conséquence administrative et fiscale personnelle. Par contre la Suisse ne pourra pas exiger de rétrocession fiscale de la France pour les revenus des périodes d’activité en France.


Comment les autorités concernées régleront ces comptes d’apothicaire ? Cela ne nous concerne pas !


Par contre, pour les cantons suisses qui prélèvent l’impôt à la source, c’est un peu plus compliqué puisque l’employeur est censé calculer le prorata du montant de l’impôt français pour les périodes d’activité en France et ils devraient prélever ces montants à la source aux frontaliers concernés et les reverser en France.

Cela paraît compliqué dans la pratique ! Mais avec la mensualisation en France c’est un peu moins complexe, il suffit d’appliquer le pourcentage d’impôt français propre à chaque salarié. Donc c’est moins confortable, mais pas insurmontable.


S’agissant des activités dans d’autres État tiers de l’UE qui dépassent 10 jours par an, sauf convention ou accord spécifique, la procédure serait semble-t-il la même c’est la France qui perçoit l’impôt.


Certains cantons suisses qui prélèvent l’impôt à la source ont en 2022 (lors des négociations concernant le télétravail) annoncé qu’ils n’ont pas l’intention de renoncer à ce manque à gagner fiscal qui risque de leur échapper. Mais dans ce cas sont-ils exclus des conditions fixées par la Convention fiscale bilatérale franco-suisse ? Si oui, dans ce cas à quel texte, accord ou avenant faut-il se référer ?


Pour le télétravail c’est réglé et c’est mieux qu’avant le Covid. Hélas ! Il nous semble qu’en habillant Paul avec le télétravail on décide de déshabiller Jacques qui se déplace plus de 10 jours par an !


Depuis des décennies les déplacements professionnels au sein de l’UE pour les frontaliers ne posaient aucun problème. A présent on tente d’appliquer une réglementation vieille de 55 ans qui est totalement inadaptée aux activités professionnelles multinationales de l’époque actuelle ! C’est un constat puisque bien entendu le CDTF et les frontaliers qui n’ont jamais été concertés à ce sujet n’ont rien à dire !


Questions naïves qui méritent réponses et réflexions :

  1. Quand est-il du frontalier qui par exemple transporte avec son camion ou son bus suisse des marchandises ou des personnes en excursion plus de 10 jours par an dans des États tiers de l’UE qu’il sillonne ?
  2. Si un frontalier qui réside en Allemagne se déplace pour son employeur suisse plus de 10 jours par an en France ou un dans autre État tiers de l’UE quelles seront les conséquences fiscales dans son cas ?
  3. La convention de 1966 ne concernerait-elle à ce jour que les frontaliers qui résident en France ?
  4. Qu’en est-il d’un salarié en France qui réside en France et qui se déplace plus de 10 jours par an pour son employeur français en Suisse ou dans un autre État tiers de l’UE ?

Sachant que l’accord du télétravail (à lire les considérants) n’a absolument pas pour objectif de compliquer les choses, il nous paraît invraisemblable que soudain ce plafond de 10 jours de déplacement à l’étranger par an soit instauré.


Ce serait une régression primitive et un rétropédalage inadapté puisque même avant le Covid ce problème n’existait pas.


C’est d’autant plus illogique que ces mêmes frontaliers peuvent télétravailler 40 % de temps de travail en France (en moyenne 88 jours) ! Mais pas plus de 10 jours s’ils se déplacent en France et pire encore dans un autre État tiers !

A la limite nous pourrions comprendre que les jours de télétravail et de déplacements soient comptabilisés dans les 40 %. Mais qu’au-delà de 10 jours de déplacement que le télétravail n’est plus du tout autorisé nous paraît invraisemblable ! Ce serait la double peine à laquelle s’ajoute la double fiscalisation !


Et cela ne trouble pas les RH au niveau de leurs relations humaines ?


Nous pourrions prétendre qu’une telle réforme si elle touche uniquement les frontaliers qui exercent en France serait discriminatoire et représenterait un obstacle à la libre circulation des travailleurs au sein de l’UE.

Sauf que les accords UE laissent à chaque État sa compétence en matière fiscale, donc il faut éviter les raccourcis qui mènent sur des pistes non carrossables.

Pour autant, suivant l’interprétation officielle des autorités suisses en la matière, il ne sera pas interdit au besoin de poser ensuite certaines questions au niveau de l’UE.


Notre espoir : nous espérons vivement que les employeurs suisses des grands groupes qui emploient de nombreux frontaliers qui se déplacent pour représenter leur employeur à l’étranger partagent notre avis s’agissant de la demande urgente d’interprétation aux autorités suisses qui sont directement impliquées par cet avenant et accord à l’amiable bilatéral.

Et qu’en plus ils vérifient bien si c’est aux salariés concernés ou à l’employeur par le biais de l’impôt à la source, donc prélevé directement sur le salaire, de calculer et de payer l’impôt à la source dont « il semble qu’ils seraient redevables » ?


Certains frontaliers estimaient que c’est au CDTF de mener les investigations et interroger les autorités. Nous ne partageons pas cet avis et ceci dans l’intérêt même de la cause.

C’est à ceux qui sont concernés de se regrouper, de se concerter en s’entre-aidant solidairement.


Nous estimons que les représentants de grands groupes suisses qui emploient des milliers de personnes et qui sont directement concernés sont beaucoup plus légitimes que notre association de frontaliers en France pour poser les questions aux hautes autorités suisses compétentes. Le délai de réponse serait trop long pour nous et nous parlons d’expérience vécue dont celle de la double-cotisation d’assurance maladie.

Nous pourrions interroger la France, mais sans rentrer dans les détails et là aussi à cause de plusieurs expériences vécues très éprouvantes ce n’est pas gagné.


Enfin, veuillez noter que contrairement à ce que nous avons lu et ce à quoi certains sont invités, en aucun cas, à notre connaissance, le frontalier ne dispose d’un droit d’option à faire valoir pour déterminer de quel État il souhaite dépendre fiscalement ! Ce serait une hérésie !